Dans le sillage du Countdown 2030 bâlois, la FAS Romandie propose d’engager une série de discussions permettant d’alimenter la réflexion sur le rôle de l’architecte et sa responsabilité vis à vis des enjeux que notre société doit affronter quant à la réduction d’émission de carbone.
De forme libre, ce forum a l’ambition d’explorer de nouveaux prismes à travers lesquels l’architecte pourrait regarder le futur de sa pratique ; il s’agit d’ouvrir des portes sur une remise en question très large de notre profession et de son encadrement, que ce soit au niveau éthique, normatif voire existentiel. L’ensemble fera l’objet d’une publication à laquelle tous les membres de notre section pourront contribuer, encardée par un comité de rédaction.
Pour ce premier rendez-vous, la FAS a invité Charlotte Malterre-Barthes à nous parler de son idée de moratoire sur les constructions neuves. L'existence d'une idée aussi polémique qu'intéressante nous est parvenue par l'intermédiaire de la lecture du Tracé et d’une discussion informelle avec son rédacteur, Marc Frochaux.
Diplômée de l’ENSA de Marseille en 2005, Charlotte Malterre-Barthes a pratiqué dans de nombreux bureaux avant d’ouvrir son agence dont l’ambition était d’explorer de nouvelles formes de pratique et de cultures de production. Titulaire d’un doctorat de l’ETHZ intitulé « Food Territories », en 2018, elle n’a cessé de bousculer les idées reçues, que ce soit à travers sa pratique, son enseignement, la littérature où même la bande dessinée. Elle réside à Zurich et est actuellement professeure à Harvard.
Dans les bureaux de AAE, Charlotte Malterre-Barthes met d’entrée l’architecte face à sa responsabilité dans l’exploitation des matières premières. En allant à leurs sources d’extraction, elle montre comment une simple ligne dessinée à l’ordinateur par un architecte projetant une fenêtre en aluminium entraine une réaction en chaine dont les conséquences écologiques, sociales et économiques sont désastreuses. Des entreprises exploitent des mines d’aluminium créant de gigantesques lacs de boues de bauxite, qui sont parfois à l’origine de catastrophes dévastatrices, telle que la rupture du lac minier de Mariana au en 2015 dont Dilma Rousseff a déclaré que c’était la pire catastrophe écologique que le Brésil ait jamais connu. L’exposé se réfère à l’ouvrage « Planetary Mine, Territories of Extraction Under Late Capitalism » de Martin Arboleda qui plonge dans le monde des multinationales où l’on trouve des entreprises dont les noms évoquent, au mieux une matière, au pire, les paradis fiscaux : elles se nomment Alcoa, BHP Billiton, Vale, Glencore ou encore Rio Tinto.
Agissant comme un paravent salutaire au développement décomplexé de la société occidentale, ces multinationales servent d’intermédiaire entre le produit certifié commercialisable et les désastres sociaux et environnementaux causés par son extraction. Car derrière ces noms se trouvent un réseau d’exploitation minier dont les ramifications sont telles qu’aucun élément de construction issu de l’extraction minière ne leur échappe.
Si la question qui se pose immédiatement est de savoir comment arrêter ce processus destructeur, Charlotte Malterre-Barthes répond avec la proposition d'un moratoire sur les constructions neuves. L’intérêt de cette démarche est de remettre le coût global de la mise en oeuvre des matériaux dans l’équation générale de la construction. Ce moratoire aurait pour effet de briser les automatismes qui guident notre pratique architecturale en nous poussant à explorer de nouveaux champs de réflexions tout en valorisant le patrimoine bâti. La durabilité et le remploi pourraient alors être des éléments de vocabulaire employés quotidiennement par les acteurs de la construction. Ils auraient le mérite de bousuler le cadre normatif qui semble parfois ne défendre que les intérêts de certaines branches de l’industrie de la construction.
Les prochaines rencontres pourraient tenter de répondre aux questions suivantes :
Comment arrêter?
Quelle pratique?
Quelle durabilité?
Qui mettre autour de la table?
En préambule à la conférence, les architectes Aviolat Chaperon Escobar nous ont présenté le projet qu’ils ont réalisé au chemin Guillaume Ritter à Fribourg. Il s’agit d’un immeuble de quatre logements, un par étage, issu de l’extension d’une villa bourgeoise. L’ouvrage est remarquable à plus d’un titre. Il cristallise à lui seul toutes les réflexions qui sont en train d’imprimer un changement notable dans la société, et pas seulement dans l’architecture. Le projet navigue en pleine zone grise: il ne veut se ranger dans aucune catégorie.
Le bâtiment n’utilise pas les codes habituels de la construction, renvoyant l’observateur à questionner ses propres valeurs; s’agit-il d’une rénovation ou d’un bâtiment neuf ? D’une villa ou d'un immeuble de logements collectifs? Y a-t-il une différence de langage entre le vieux et le contemporain ? Sans parler de la typologie qui présente une enfilade de pièces sans aucune hiérarchie ni dans les dimensions, ni dans les matériaux.
Si le brouillage des pistes historiques, comme la répétions de l’élément qui devient le thème du projet ont déjà été abordés à travers l‘image du bâtiment en tant que force évocatrice du projet dans les années ‘90 en Suisse, ou avec Luiggi Snozzi, dont la répétions du motif existant était la base d’une démarche contextuelle, le projet des architectes Aviolat Chaperon Escobar est un bâtiment manifeste. Projet inclassable, il ouvre des portes qui remettent en question les bases sur lesquelles notre société repose.
Nicolas Monnerat