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FAS Romandie, Nouvelles,

Hommage à Jacques Lucan

Nous, très cher Jacques Lucan, restons inconsolables de ton absence.

Nous, les générations d’étudiants qui ont eu la chance de suivre ton enseignement de théorie de l’architecture à l’EPFL de 1993 à 2015, tout comme nos collègues français de 1981 à 1998 à l’ENSA Paris-Belleville, puis depuis 1998 à l’ENSA Paris-Est.

Nous, les Professeurs titulaires ou invités, chargés de cours, collaborateurs scientifiques, doctorants, assistants, qui ont eu la chance ici en Suisse durant ces près de 25 ans, de collaborer avec toi au sein de la Faculté d’architecture ENAC, de l’École doctorale, ou du Laboratoire de Théorie et d’Histoire de l’EPFL.

Nous, tes lecteurs assidus, à l’affût de chacun de tes ouvrages et de tes articles, auditeurs attentifs de tes cours et conférences, et de l’ensemble de tes contributions, qui à chaque fois nous éclairaient si finement et de manière tellement pertinente sur nos pratiques, questionnements et intuitions.

Nous, tes confrères architectes, collègues de réalisations concrètes, auxquelles en parallèle de tes activités académiques, éditoriales et de recherche, tu te confrontais comme nous, dans une pratique partagée au sein de ton agence avec Odile Seyler ton épouse et partenaire, et depuis quelque temps deux de vos enfants Paola et Thaddée Lucan.

Nous sommes comme les chênes de "L'homme qui plantait des arbres" de Jean Giono, les chênes que tu as semés ici et ailleurs, durant ces nombreuses années consacrées à nous enseigner et à nous éclairer. D’abord pendant plus de 10 ans comme rédacteur en chef de la revue AMC, puis depuis près de 30 ans comme enseignant et auteur d’ouvrages formant un corpus d’une force et d’une rare pertinence, nous donnant les outils conceptuels nous permettant de comprendre et de penser les modes de conception de l’architecture, qu’elle soit contemporaine ou plus ancienne.

La force de ce que tu nous as enseigné se trouve dans cette pensée commune à toutes ces générations d’architectes et de lecteurs, que tu as formées : « pour comprendre les choses, restez au plus près des choses ». Cette obligation éthique et intellectuelle que tu nous as transmise de nous questionner sur nos approches, nos modes de conception et de matérialisation de nos architectures. Ce besoin de mettre en perspective nos projets, de les intégrer dans cette histoire plus vaste, au sens des pensées et des proximités que les architectures anciennes et actuelles portent et partagent. Ces liens évidents que tu tissais entre passé et présent, entre ce qu’avant toi nous considérions comme simplement de l’histoire et la production contemporaine dans laquelle nous nous inscrivons, et que tu étais l’un des seuls à cristalliser et à révéler par ta pensée si éclairante.

Comme l’immensité de l’œuvre d’Elzéard Bouffier que Giono contempla à son retour 30 ans après sur les terres de "L'homme qui plantait des arbres", la force de ton influence sur plusieurs générations d’architectes et d’urbanistes, la portée de ta pensée, de ton enseignement, de ton approche, sont l’héritage immense que tu nous laisses. 

Bien plus qu’une simple vision personnelle et subjective de l’architecture, tu nous as donné par l’intermédiaire de tes écrits et de ton enseignement, les outils fondamentaux d’analyse, de compréhension et de conception, qui nous permettent et nous permettront de continuer à nourrir et à produire une pensée architecturale contemporaine, inscrite de façon conséquente et pertinente, dans ce que Michel Foucault décrivait comme « l’histoire nouvelle », et que tu aimais à nommer « ce passé le plus récent »

Cette histoire du futur, nous l’écrirons grâce à toi avec cette foi en l’architecture que tu nous as transmise, et que tu as su faire germer en chacun de nous. Ainsi ta vision et ton approche de l’urbanisme et de l’architecture, rempliront à chaque instant le vide laissé par ta disparition, ce vide-plein si cher à Rem Koolhaas, que tu convoquais souvent lors de tes cours et dans tes écrits.

Merci pour tout cela cher Jacques, et pour tout ce que tu nous as donné et enseigné durant ces années passées dans la proximité de ta pensée, merci de nous avoir guidé et accompagné sur le chemin de cette tentative de clarification et de compréhension de ce qu’a été, est, et sera l’architecture.

Philippe Béboux

Lausanne, le 8 janvier 2024

Philippe Béboux fut Chargé de cours du Professeur J.Lucan LTH_EPFL de 2000 à 2006, Collaborateur scientifique du Professeur J.Lucan LTH_EPFL de 2006 à 2009, Professeur en architecture et urbanisme JMA-BFH de 2005 à 2008, Professeur invité, Mineur Développement territorial et urbanisme EPFL de 2011 à 2012.